samedi 20 mars 2010

"La parole de l'artifice" - nouvelle intro au projet

Bonjour,
J'ai rajouté un passage sur le storytelling qui est essentiel depuis le début des Interlocuteurs, mais qui n'avait pas été formulé tel quel jusqu'alors. Cela va permettre de circonscire davantage le projet et de dépasser cette question de l'adresse (trop large et déjà largement abordée lors de mon master et de mes deux expos "partenaire particulier") ou du "dialogue".
J'aimerais donc, si vous voulez bien, qu'on se concentre là-dessus, pour La Vitrine comme pour Toulouse.
Mathilde

le sous-titre du projet pourrait être: "La parole de l'artifice"

les mots clés:
Storytelling
stratégies (langagières) d’évitement, d'esquive
tourner autour du pot, parler autour, à côté, faire diversion
détours et dérives narratives
circonvolutions
paratexte

Comme d’autres objets d’apprentissage, l’œuvre d’art n’est pas un savoir autonome qui passerait de main en main sans que ces déplacements le contaminent et le transforment de l’intérieur. Elle n’est pas un objet de connaissance qui se transmettrait dans un idéal de « transparence de pensée », de manière unidirectionnelle. Elle est un objet de « partage » et de « cohabitation » qui dépend d’un réseau complexe d’émission et de réception, n’appartenant ni tout à fait à son auteur ni tout à fait à son spectateur ; un objet intermédiaire entre nous et le monde.

Après l’exposition « Partenaire Particulier » issue de mon master effectué sur les « dispositifs à spectateur unique » au London Consortium et qui dressait une typologie d’œuvres s’adressant qu’à un spectateur à la fois (faisant du spectateur un destinataire pourtant inconnu un privilégié qui entretient à l’œuvre un rapport d’échange, de négociation et de partage) j’aimerais poursuivre cette réflexion en focalisant cette fois-ci mon attention sur des œuvres empruntant une parole de l’ »autour ».

Jouant les storytellers éloquents et bavards qui racontent des histoires, les artistes des « Interlocuteurs » évitent pourtant soigneusement de nous livrer l’objet de leur convoitise. Ils tournent autour du pot, développent un arsenal de stratégies d’esquive, de détours et de dérives narratives, d’interpellations et de circonvolutions langagières, qui s’appliquent avec élégance à ne jamais désigner le sujet de la conversation. Empruntant les voies (stylistiques) de l’allusion, prétérition, périphrase ou encore extension, ils inversent le procédé d’une parole scientifique qui définirait en premier lieu son objet d’étude avant de le questionner. Les artistes ne s’embarrassent pas d’une telle étape intermédiaire. Préférant à coup sûr la surface au noyau, ils développent directement les chemins de traverses. Alors l’objet, au sens quasi grammatical du terme, dévie, se dérobe et se soustrait à toute volonté qui souhaiterait s’en saisir.
Cette parole de l’artifice, qui n’aborde jamais frontalement le sujet en question, mais le contourne en l’effleurant et le critique sans le nommer, tantôt illustre un geste simple, tantôt s’appesantit sur ses propres conditions de réalisation, ou encore produit des formes d’analyses et de lectures singulières du monde. Ils mettent en scène des entretiens où les protagonistes peinent à se rencontrer, prennent appui sur une série d’objets, d’images et de documents qu’ils manipulent, commentent ou illustrent lors d’installations-performances, de conférences illustrées, ou simplement de prises de parole adressées à un public.

Autant de formes (de ses séances d’interviews pseudo documentaire de Jeanne Faust aux démonstrations quasi scientifique en public de Jochen Dehn, des exhortations de témoignages de Volko kamensky aux cadavres exquis collectifs de Cyril Verde, des prises à partie du spectateur de Loreto Martinez Troncoso aux interpellations indirectes de Charlotte Moth, les mots et la voix constituent un des matériaux privilégiés de l’artiste. La parole, jouée, décrite ou en acte, est un flux porteur d’histoires et dotée de sens (avec son lot de contre-sens, d’écarts, de malentendus et d’échecs) qui circule inexorablement.

Que les artistes la mettent en scène à l’intérieur de films ou l’incarnent en direct, qu’ils produisent leur propre commentaire auto-réflexif pour tailler dans la masse une adresse sur mesure, ou qu’ils jouent les professeurs explicateurs, empruntant les voie(/x) de l’apprentissage, leurs oeuvres ne cessent d’évoluer dans un mouvement paradoxal : pleines d’une volonté de dire le monde, de nous l’adresser et de nous l’apprendre, elles génèrent irrémédiablement une communication partielle et défaillante. Interview, chorale, lecture, performance, conférence, cours… les œuvres de l’exposition nous parlent, mais de quoi parlent-elles ?

L’exposition est basée sur deux workshops (avec les étudiants des Beaux Arts de Cergy et de Toulouse) et la mise en relation de différentes structures (la vitrine, les beaux arts, l’école publique et le printemps de septembre). Une mise en réseau qui multiplie les points de vue et favorisent l’échange.

Resserrant les relations entre le langage parlé et le langage plastique, faisant du langage parlé la matière première de l’artiste, empruntant des types de discours tels que la description, l’explication, la circonvolution ou l’auto-commentaire, le projet souhaite d’une manière prendre position contre les réformes AERES (issues d’une volonté gouvernementale d’homogénéisation du modèle européen) liées à l’enseignement artistique qui tentent d’instaurer dans leur méthode une suprématie du discours sur la forme plastique et de dissocier les deux quand il faudrait les faire procéder l’un de l’autre. Voulant calquer la formation dispensée en écoles d’art sur celle des modèles universitaires, ils creusent l’écart entre un travail plastique et son commentaire, le texte et la forme, en exigeant que les étudiants produisent un « mémoire », qui serait évalué avant le travail plastique par un jury distinct, partiellement « docteur » en université), donnant comme d’autorité la primauté (du moins l’équivalence) au « discours sur », comme si le travail plastique était réductible à sa simple écriture.

Conçue en mouvement perpétuel, l’exposition advient dans le temps. Adaptée aux formes variées qui la traversent, elle amène le spectateur à adopter différentes postures: écouter une pièce sonore en solitaire, assister à une performance donnée en public, s’allonger devant un film, consulter des documents écrits, lire des livres. «Les interlocuteurs » bascule la position verticale du spectateur à l’horizontale, l’invitant à prendre son temps s’il le désire, à s’asseoir et s’allonger, s’installer physiquement dans un temps de lecture, réflexion ou de rêverie. Par ailleurs, « Les Interlocuteurs » traite des rapports entre la performance et l’œuvre exposée: comment des performances contaminent et transforment l’espace d’exposition ? Comment en retour l’exposition fait se côtoyer les «objets » de la performance et se fabrique à partir d’eux ?

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