jeudi 18 mars 2010

Lettre de René Denizot, directeur ENSAPC / réfomes AERES

Réunion générale du mercredi 17 février 2010
Objet : Position de l’ENSAPC vis-à-vis de l’évaluation par l’AERES pour l’habilitation à dispenser des diplômes (DNSEP) ayant le grade de Master.
Courrier adressé à Nicole Phoyu-Yedid (MIPEA)

Chère Nicole,

Merci d’avoir transmis mon message. Jean-Pierre Simon m’a appelé jeudi soir, après la réunion qui s’est tenue à Cergy. J’ai pu lui faire part de la position de l’école vis-à-vis du dispositif d’évaluation « sur papier » qui nous est imposé.
Les propos de Jean-Pierre Simon, compréhensifs et amicaux, mais orientés à tout prix vers l’obtention du grade de Master, ne dissipent pas le malaise que nous éprouvons et renforcent la position critique de Cergy sur les conditions exclusives de l’évaluation et ses implications.

Nous constatons unanimement que se plier aux grilles et aux modalités d’évaluation de l’AERES, sans autre possibilité que de souscrire au modèle universitaire qu’elles imposent et présupposent, revient à travestir la présentation de l’école, à trahir la spécificité de nos enseignements, à déformer nos formations, à dénaturer la finalité pédagogique et ses enjeux professionnels, à nier l’existence de l’école et sa réalité.

Nous refusons, en conscience, de nous livrer à un travail de falsification dont les dérives irréversibles auraient pour conséquence de nier ce que nous sommes, une école d’art, et de renier des engagements qui ont pour condition première de maintenir la ligne faîte de la création artistique et pour objectif essentiel de former des artistes, entendus comme des inventeurs, des producteurs et des acteurs de l’œuvre et du partage de la contemporanéité. Nous avons cette ambition, nous la poursuivons avec un succès indéniable, si l’on en juge par le nombre des étudiants formés à Cergy dont le travail émerge sur la scène artistique.

Ainsi ne pouvons-nous souscrire à des critères de formation dont le crible universitaire met en pièces les objectifs et les méthodes des enseignements que nous proposons, justifiés seulement par la spécificité du travail artistique, par la nécessité de l’inventer selon des pratiques à réapproprier de manière originale et singulière.
Il n’y a pas de progrès en art, mais des inventions qui se risquent à répondre et correspondre au temps du monde. Il n’y a pas de « progressivité » dogmatique de nos enseignements, mais, confrontés à une même exigence d’œuvre, une progression personnelle des étudiants, selon un parcours singulier, évalués individuellement par la mise à l’épreuve permanente de leurs projets et de leurs œuvres, exposés à la critique collective, tant sur le plan pratique que théorique.

Il ne peut y avoir de clivage entre premier cycle et deuxième cycle, ni parmi les étudiants ni parmi les enseignants, mais des temporalités différentes d’approche de l’œuvre en question et en jeu, d’appropriation des enjeux et d’expérimentation des projets, d’approfondissement des questions à l’œuvre et d’accomplissement de l’œuvre en question.

D’un bout à l’autre du cursus, les étudiants traversent l’ensemble des enseignements et dans cette transversalité chacun construit un parcours différent qui est son propre cheminement, celui de sa progression personnelle, celui de ses recherches et de sa pratique, celui de l’œuvre en jeu. C’est ce cheminement que nous évaluons.

La cohérence et la pertinence de cette évaluation continue impliquent que la formation ne se cloisonne pas. Elle requiert une collégialité des enseignements et une mobilité des enseignants de la 1e à la 5e année, quels que soient leurs titres universitaires. Nous ne pouvons admettre le risque d’un noyautage des formations, en réservant les années de diplôme aux universitaires. Une école d’art ne peut vivre, que si l’engagement dans l’art, l’engagement professionnel de ses enseignants, irrigue la formation, qu’elle soit théorique ou pratique.

La même nécessité, celle de l’art qui exige l’œuvre, nous conduit à demander l’aménagement du DNSEP en une épreuve qui ne sépare pas « mémoire » et travail « plastique ». La 5e année doit être la présentation d’un projet d’artiste et c’est ce projet à l’œuvre qui engage la parole de l’artiste, ses écrits, sa documentation, ses publications. S’il y a bien là les conditions d’un « mémoire », elles le situent et le justifient dans l’ouverture et la fécondité du travail artistique, dans un espace de dialogue avec l’œuvre et de débat critique entre l’œuvre et le monde. Les documents du « mémoire » pourraient parvenir au jury avant l’épreuve du diplôme, mais être discutés par le même jury en présence du travail plastique, dans une logique artistique.

N’est-il pas possible de faire droit à cette cohérence et à cette ambition artistique ? Ne peut-on envisager que chaque école puisse organiser le passage du DNSEP, pour autant que la double approche de l’œuvre, sous un angle pratique et théorique, dans une ouverture critique pleinement argumentée, serait manifeste et respectée ?

Selon le même enjeu critique et la même exigence propre à l’art, est-il possible de substituer à l’évaluation de « papier », une rencontre sur le vif et une évaluation sur le site ? Ou, à tout le moins, la possibilité de traduire, en marge des fiches, la différence de notre enseignement et son irréductibilité à des enjeux universitaires ?

Nous ne refusons pas le grade de Master, nous pensons qu’il est secondaire et que le prix de son obtention ne doit pas se payer du travestissement et du reniement de ce que nous sommes. Nous ne croyons pas que le cynisme soit payant, notre approche de l’art n’y résisterait pas.

Très cordialement,

René Denizot

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