jeudi 18 mars 2010

les cartels. texte de géraldine longueville

Voici un texte intéressant que Géraldine Longueville vient d'écrire à propos des "notices" (une des formes de commentaire et de médiation qui "entoure" l'oeuvre). Bonne lecture, Mathilde

Sous roche

Depuis le développement de la politique des publics dans les musées et centres d'art, les notices d'informations sont devenues un élément essentiel de la muséographie. S'ils ne changent en rien la réalité physique des œuvres, ces outils de médiation garantissent la filiation des objets à leurs signatures et indices de reconnaissance historique. Dans sa position généralement introductive, la notice anticipe la réception du public en le dirigeant d'emblée dans une relation didactique. Cette ordre d'apparition, en privilégiant l'orientation vers le commentaire avant l'œuvre, comporte le risque d'écarter au préalable l'expérience subjective et l'autonomie de pensée. Ce problème fait débat depuis longtemps tant l'équilibre est délicat entre l'œuvre et les indicateurs de sens qui l'accompagnent.
Les œuvres sont pourtant déjà des indicateurs mais qui désorientent notre relation à la logique. Paradoxalement, l'expérience d'aller voir une exposition est optimale lorsque l'œuvre nous échappe. La notice est un supplément qui doit l'alimenter sans la supplanter. Au delà du problème de l'autonomie de l'œuvre, c'est surtout celle du public qu'il faut engager dans sa visite. La déambulation ne devrait pas se faire de notice en notice, à la recherche de points d'ancrage mais se rapprocher de l'exploration, où le déplacement et l'observation sont indiqués par les œuvres elles-mêmes et non par le sens muséal.
L'exposition Double Bind—Arrêtez d'essayer de me comprendre! qui a lieu actuellement et jusqu'au 30 mai 2010 à la Villa Arson à Nice propose une nouvelle approche de la médiation, conçue par les commissaires Dean Inkster, Éric Mangion et Sébastien Pluot en collaboration avec les responsables des publics Céline Chazialviel et Christelle Alin. Les œuvres apparaissent sans notice, les cartels numérotés et collés au sol indiquent titres et noms des auteurs. Leurs numérotations nous renvoient à la Galerie Carré, véritable salle des matières qui contient toutes les données input et output de l'exposition. Les graphistes Charles Mazé et Coline Sunier y ont édité les 90 notices sur la totalité des deux faces d'une cimaise, constituant la table mnémotechnique en différé des œuvres. Chaque notice par son numéro correspond à une œuvre exposée, incitant le public à utiliser sa mémoire afin de rendre possible cet aller-retour.
La médiation est ainsi une partie intégrante et intégré dans les salles d'exposition, développée par une série de projets d'artistes en résidence dont le séjour permettra d'endurer l'exposition et de travailler sur ses multiples réceptions. Ces dernières constituent la problématique centrale posée par les commissaires : la traduction, de la transposition du langage à ses possibles interprétations, exprime le paradoxe de la nécessité et de l'impossibilité de se comprendre. Parmi les artistes participants au projet de médiation, A Constructed World mesurent particulièrement le risque qu'induit cette contradiction.
L'installation des artistes, Explaining Contemporary Art to Live Eels, prend d'abord la forme d'un aquarium contenant des anguilles nouvellement nées. En prolongeant la visite, l'installation est de nouveau présentée dans un dispositif plus construit. Un tronc d'arbre est posé au sol et soutient une boite de conserve relié à un fil, lui-même raccordé à une autre boîte disposée à l'extérieur, dans un bassin, et orientée vers des anguilles, beaucoup plus grandes que celles du précédent aquarium. Ce téléphone archaïque suggère qu'une discussion est la bienvenue avec les poissons dont le mode de communication par ondes électriques peut se propager à des milliers de kilomètres. Sur les parois du bassin sont accrochées une série de pièces réalisées par d'autres artistes (Yann Sérandour, Ryan Gander, Felix Gonzales Torres, etc) dont s'imprégneront les anguilles avant d'être relâchées. Lorsque l'on sait que les mises en forme d'A Constructed World sont le résultat de situations impliquant la participation de chacun, l'impression que le processus de construction a déjà commencé est palpable. Et que la présence de ces nouvelles anguilles annoncent la suite, qui prendra de l'ampleur au fur et à mesure des participations prévues durant toute la durée de l'exposition, à savoir workshop, actions et publications. La pièce, construite par vagues successives d'interprétation, est un objet mouvant qu'il est impossible de contenir, si ce n'est temporairement. Elle induit un mode d'échange qui ne peut se définir sans la multiplicité de points de vues de ses collaborateurs, mais l'éclatement des regards et des circulations la rend à la fois insaisissable.
Ce va-et-vient entre différents temps d'expériences s'opère librement dans l'ensemble de l'exposition, laissant au public tout le temps pour tracer, sans ordre de visite ni mots-clés, sa propre trajectoire.

Géraldine Longueville

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